- En Suisse, nous croyons fortement à l’équilibre entre le corps et l’esprit comme fondement de la santé. Comment cette approche préventive est-elle perçue ailleurs dans le monde, selon votre expérience ?
Mon expérience internationale repose principalement sur mes études en France, quelques collaborations avec des collègues en Iran – mon pays natal – ainsi qu’un projet humanitaire que j’ai mené pendant plusieurs années entre la Suisse et le Congo-Brazzaville. Ce projet visait à former les médecins généralistes à diagnostiquer, traiter et orienter les patients souffrant de troubles psychiques, dans un contexte marqué par un accès limité aux spécialistes en santé mentale.
Par ailleurs, je participe activement à la formation de nombreux collègues venus du monde entier, au sein de l’Institut C. G. Jung de Zurich. Cela me permet de m’enrichir des cultures de soins de nombreux pays à travers mes étudiants. Je pense que la manière d’envisager la santé varie fortement d’un pays à l’autre, même si elle reste globalement influencée par le modèle biomédical occidental. Selon l’esprit collectif, les traditions culturelles ou religieuses, on constate une mise en avant plus ou moins marquée de certains aspects : certaines sociétés privilégient une médecine très technique et rationnelle, tandis que d’autres s’appuient davantage sur des approches traditionnelles ou alternatives.
À mon sens, les différentes conceptions de la santé ont vocation à s’équilibrer au fil du temps. En Suisse, nous avons la chance de bénéficier d’une tradition proche de la nature, qui valorise l’harmonie entre l’être humain et son environnement. Cette vision favorise une meilleure santé psychique. En parallèle, notre système de santé permet un accès généralisé à une médecine de pointe, hautement technologique.
L’enjeu actuel est d’élargir encore cette vision en y intégrant les apports récents de disciplines telles que la psycho nutrition, la micronutrition, la sociologie, ou encore l’étude des déterminants sociaux de la santé et des comportements individuels. Il s’agit de tendre vers une approche de la santé publique à la fois individualisée, intégrative et préventive.
Ce que certaines autres cultures peuvent nous inspirer – je pense ici à mon expérience en Afrique ou à ce que me rapportent des collègues indiens – c’est l’importance d’impliquer l’environnement social du patient dans sa prise en charge. Le soutien du cercle familial, amical ou même du voisinage peut contribuer à restaurer un sentiment d’appartenance, à rompre
L’isolement social, à se sentir accepté et soutenu malgré la maladie. Ce type d’accompagnement peut parfois avoir plus d’effet thérapeutique que ce que nous pouvons proposer entre les murs d’un cabinet médical – bien entendu, toujours dans le respect des règles éthiques et déontologiques qui encadrent notre pratique.
- De votre point de vue, quelles prestations psychologiques ou préventives devraient absolument être remboursées par les assurances pour soutenir réellement la santé mentale des assurés ?
Je pense que nous vivons actuellement un véritable changement de paradigme dans notre manière d’aborder la santé mentale. Pendant longtemps, l’accompagnement dans ce domaine s’est concentré essentiellement sur la psychothérapie et sur l’usage de quelques classes de médicaments, dans une logique principalement symptomatique. Cette approche garde sa pertinence, notamment dans le traitement des troubles psychiques sévères, souvent associés à un suivi médico-social. Mais elle ne suffit plus.
Nous savons aujourd’hui qu’il peut exister une prédisposition génétique à développer certains troubles psychiatriques. Toutefois, l’épigénétique joue un rôle déterminant dans l’activation ou non de cette vulnérabilité. Ce constat, valable également pour les maladies somatiques, nous invite à envisager la santé mentale dans une perspective bien plus intégrative. L’organisme possède une intelligence propre, orientée naturellement vers l’homéostasie. Cette dynamique peut être perturbée par une multitude de facteurs : chronologiques, psychosociaux, nutritionnels, mais aussi symboliques.
Ce dernier aspect – le sens que l’individu donne à son existence, à ses épreuves, à sa maladie – est souvent négligé, alors qu’il est fondamental. Comme Jung le rappelait, l’inconscient est vivant, intelligent, et possède sa propre direction. La profondeur de l’expérience humaine dépend de notre capacité à lui donner sens, à nous relier à une trame existentielle plus vaste.
La santé mentale ne peut donc être envisagée sans intégrer cette dimension existentielle. Elle est aussi influencée par des facteurs très concrets, tels que l’alimentation, l’état du microbiote intestinal, ou la qualité des liens sociaux. La psycho nutrition, discipline encore émergente, est appelée à occuper une place croissante dans les années à venir. Elle met en lumière le rôle de certains nutriments et compléments, comme les oméga-3 ou certains probiotiques, qui influencent la production de neuromédiateurs via la modulation de la flore intestinale.
Sur la base de ces éléments, je pense que les assurances devraient rembourser certains bilans de micronutrition, des analyses du microbiote, ainsi que, lorsque cela est indiqué, des compléments alimentaires dont l’efficacité sur la santé mentale est documentée – et ce dès le plus jeune âge.
Enfin, il me semble essentiel d’accorder une attention particulière aux premières années de vie. Nous savons aujourd’hui à quel point les premières expériences relationnelles, la qualité de l’attachement, et l’environnement émotionnel du tout-petit jouent un rôle central dans le développement psychique ultérieur. Des mesures comme l’allongement du congé parental pour les deux parents, déjà en place dans certains pays nordiques, me paraissent fondamentales. Mon expérience me pousse à penser que l’augmentation de certaines pathologies ne s’explique pas uniquement par une meilleure reconnaissance diagnostique, mais aussi par nos modes de vie : une société qui valorise la vitesse et la performance, chez les adultes comme chez les enfants, crée une insécurité affective chronique, source d’angoisse. De nombreuses études soulignent également l’impact majeur de notre alimentation – et de celle de nos enfants – sur le développement et la santé psychique. Je suis convaincu que le sentiment de sécurité affective durant les premières années de vie, associé à une attention particulière portée à l’alimentation et à la qualité de notre microbiote intestinal, constitue un levier majeur de prévention des troubles psychiques futurs.
En résumé, il est aujourd’hui indispensable de penser la santé mentale dans une approche globale, intégrant les dimensions biologique, psychique, symbolique, sociale et existentielle de la personne.

- Pensez-vous qu’un accompagnement personnalisé dans le choix d’une assurance – en tenant compte du profil émotionnel, mental et social de la personne – pourrait améliorer durablement son bien-être ?
La réponse à votre question est trois fois oui.
Ce qui demeure délicat dans cette perspective, c’est la question éthique, notamment en ce qui concerne la confidentialité des données de santé personnelles. Celles-ci ne doivent évidemment en aucun cas être communiquées directement aux assurances. En revanche, il me semble essentiel que les assurances puissent collaborer avec des médecins-conseils qualifiés, formés et sensibilisés à ces dimensions, afin de proposer un accompagnement véritablement personnalisé, en particulier sur le plan préventif.
Un tel accompagnement irait non seulement dans l’intérêt des assurés, mais également dans celui des assureurs. Il permettrait de limiter, retarder, voire prévenir le développement de pathologies qui, une fois chroniques, engendrent des coûts importants et prolongés.
Le médecin-conseil devrait pouvoir, dans ce cadre, et avec le consentement éclairé de l’assuré, collaborer avec les différents professionnels de santé. Il s’agirait alors d’établir un profil de santé complet, prenant en compte des éléments familiaux, génétiques, comportementaux, microbiotiques et micronutritionnels, afin de proposer des prises en charge adaptées, mais aussi de favoriser une approche multidisciplinaire coordonnée.
L’objectif final est double : améliorer durablement la qualité de vie de la personne, tout en prévenant les complications et l’aggravation des troubles. Il s’agit, selon moi, d’un investissement préventif intelligent, qui conjugue éthique, efficacité en santé publique et viabilité économique.
- Dans votre pratique, observez-vous une influence directe du type de couverture d’assurance sur la qualité ou la fréquence du suivi psychologique de vos patients ?
Absolument. Dans le système de soins suisse actuel, le montant des primes et des franchises limite l’accès aux soins pour une part significative de la population. Même pour des patients déjà engagés dans un suivi, je constate combien le passage à une nouvelle année peut générer de l’angoisse. Cela peut entraîner une réduction, voire un arrêt temporaire ou définitif de leur prise en charge.
La situation n’est guère meilleure avec certaines assurances privées, qui restreignent considérablement la prise en charge des soins liés à la santé mentale.
Par ailleurs, le remboursement des prestations est souvent limité à une liste prédéfinie de soins ou de prestataires, sans prise en compte des besoins spécifiques de chaque patient. Cela peut, d’un côté, restreindre l’accès à des approches adaptées, et de l’autre, encourager une surconsommation de prestations remboursées mais pas toujours pertinentes.
L’assurance du futur – dans l’intérêt de la santé publique, de l’économie et de la pérennité du système de soins – sera celle qui reconnaît la singularité de chaque individu. Elle devra privilégier la prévention, en intégrant une approche diagnostique et thérapeutique globale, ainsi qu’un accompagnement personnalisé, incluant les dimensions psychosociale, micronutritionnelle et microbiologique.
- Vous intégrez des dimensions philosophiques, poétiques, sociales et nutritionnelles dans votre approche. En quoi ces éléments nourrissent-ils concrètement la prévention des troubles psychiques au quotidien ?
Jung nous enseigne que l’être humain est un être du milieu — entre le dedans et le dehors. Cette idée m’a également été transmise par ma tradition poétique et mystique ancestrale. Rûmî disait :
Je suis moitié eau et argile, moitié âme et coeur ; Moitié sur le rivage, moitié perle enfouie dans les profondeurs. (Divân-e-Shams, Ghazal N° 2309)
L’être humain doit sans cesse trouver un équilibre entre les exigences internes et les pressions externes. Une suradaptation aux attentes d’une société tournée vers la productivité et la vitesse peut entraîner une négligence de ses besoins fondamentaux intérieurs — lesquels relèvent précisément du domaine poétique, philosophique, relationnel et symbolique.
Ces dimensions invitent à revaloriser la qualité de l’expérience vécue, tant sur le plan personnel que dans les liens avec autrui. Pour reprendre une réflexion du Dalaï-Lama, nous avons, à juste titre, longuement valorisé l’approche scientifique — qui garde toute sa légitimité — mais aujourd’hui, nous avons aussi besoin de poésie, pour apaiser notre esprit, enrichir nos relations et donner du sens à notre existence.
Ce besoin naturel de connexion authentique à autrui permet à la personne de vivre une expérience émotionnelle et spirituelle plus riche. Ce réaccordage à l’âme se manifeste par un apaisement psychique qui a des effets directs sur la santé mentale. En étant davantage à l’écoute de son intuition profonde, l’individu adopte aussi plus facilement des comportements favorables à sa santé physique et sociale.
Sur le plan nutritionnel, j’observe dans ma vie que certaines mesures simples peuvent contribuer à prévenir l’aggravation de symptômes émergents.
Il ne s’agit pas d’un protocole généralisable, que je pourrai recommander, n’étant pas spécialiste du domaine, mais d’un exemple vécu. En matière de santé mentale, je recommande souvent dans ma pratique, une supplémentation personnalisée en oméga-3. Je demande régulièrement un bilan des vitamines du groupe B, de la vitamine D, du fer et de la thyroïde afin de dépister ou traiter d’éventuelles carences susceptibles d’aggraver un trouble psychique pour problèmes sou jacents. Je collabore avec une micro nutritionniste pour les cas nécessitant une approche plus poussée. Il m’arrive également de prescrire certains probiotiques en fonction du profil individuel des patients, avec des résultats très positifs en termes de qualité de vie et de réduction de la consommation de soins.
- Selon vous, quel rôle peuvent jouer les courtiers en assurance santé comme Opal dans la prévention des pathologies mentales ? Peuvent-ils devenir des alliés du bien-être global?
A mon avis, « l’assurance du futur » supposerait la mise en place d’un groupe de réflexion réunissant les médecins-conseils et des spécialistes issus de divers horizons, ouverts à une approche globale et intégrative de la santé. L’objectif serait de construire un modèle d’accompagnement et de remboursement véritablement individualisé, prenant en compte les différentes dimensions de la vie d’un assuré : génétique, psychosociale, physique, nutritionnelle, micronutritionnelle, microbiologique, en incluant la période périnatale et
l’éducation des parents. Le tout dans le strict respect des règles éthiques, de la déontologie médicale et du cadre légal suisse qui encadre nos professions. À plus long terme, on pourrait même envisager le remboursement partiel de certaines dépenses liées à des comportements bénéfiques sur le plan social et psychique — par exemple, une activité régulière ayant un effet démontré sur le bien-être individuel et collectif.
Cela inclurait bien sûr la prise en charge de certains compléments alimentaires, des consultations en micronutrition, ainsi qu’un accompagnement psychologique personnalisé. En collaborant avec vos économistes, ceci pourra modifier vote business plan pour vous assurer de la viabilité de votre modèle économique.